Nous sommes des analphabêtes de coeur
Le titre est une célèbre phrase du cinéaste suédois Ingmar Bergman qui vient de mourir. Rendons-lui hommage pour son combat contre la haine. Il me semble que l’humanité est piégée par le rationalisme et la science. C’est vrai qu’il est important de donner des réponses aux multiples questions que pose notre existence concrète en tant que être. C’est vrai qu’il faut apaiser le doute qui nous assiège. Le besoin de savoir est un impératif fondamental. Notre époque est celle des prouesses de la science et des techniques. C’est aussi une époque de turpitude et d’inquiétude.
Nous avons l’impression que la science, la technique, et le capitalisme riment avec l’angoisse, la peur, et la douleur. Il semble aussi que l’humanité a besoin d’une éthique de développement capable de concilier les besoins de la raison et les demandes silencieuses du cœur. L’histoire de notre monde contemporain, dominé par le rationalisme, est celle des guerres et des conflits successifs. Les deux guerres mondiales sont nées dans les pays capitalistes et hyper scientifiques où malheureusement les intérêts du cœur sont relégués trop souvent au second plan. Rabelais disait à juste titre « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
Il s’agit, pour Rabelais comme pour Ingmar Bergman, de la pauvreté du cœur, du manque d’empathie et d’intérêt pour autrui. Seule l’amitié vraie peut sauver notre humanité d’elle-même. Ce sont les lumières du cœur qu’il faut à notre pauvre humanité. L’intelligence sans l’amour est aveugle et source de conflits. Selon la raison, « la vraie charité commence par soi-même ». Une maxime somme toute égoïste et méprisante des prérogatives de la communauté. Par contre, l’amour nous enseigne le don de soi, l’oubli de ses intérêts au profit de ceux qu’on aime. La raison réclame la vengeance et le cœur pardonne. Dans les relations interpersonnelles, les théories intellectuelles conduisent « à la guerre de chacun contre tous » car, la divergence d’intérêts née de l’amour propre est source de rivalités sociales. Voilà selon moi, la racine de tous les maux de nos sociétés modernes.
Dire tout qui précède n’est pas faire l’apologie de la « médiocrité ». Nous connaissons les grandes conséquences positives des lumières et des sciences. Mais lors que la science n’est diluée dans l’amour du prochain, elle étouffe les sollicitations de nos sentiments les plus nobles et fait toujours éclater en morceaux les sociétés unies. Et s’ensuivent la faim, la misère programmée et la fuite de l’espérance.
La nouvelle ère qui s’annonce déjà avec l’émergence des mouvements humanitaires authentiques, l'appel à la fraternité universelle, le désir de plus en plus pressant de la paix, le refus tout azimut de la guerre, la dénonciation de la souffrance animale, la montée du végétarisme, le retour à la nature ou la défense de l’environnement, sera consacrée à l’éducation du cœur et à la pédagogie de la vie. Si le monde va mal, c’est parce que nous sommes des analphabètes du cœur. Il faut apprendre à aimer et à se sacrifier pour le bonheur de la vie.
Le bien être de notre humanité passe par un équilibre entre la raison et le cœur. Le cœur recommande le partage, le pardon, la tolérance, la vertu et l’éthique. Bien des choses qui manquent à notre époque et dont la présence dans nos vies est nécessaire pour participer à la construction de la nouvelle humanité et nous rendre le bonheur que nous cherchons tous les jours.
L’amitié concrète en acte et en vérité, le pardon qui donne le meilleur exemple de compassion, le végétarisme qui enseigne le respect de la vie, la tolérance qui nous renvoie à nos propres fautes sont autant d’enseignements que nous devons nous donner pour permettre à notre cœur une expression totale de la grandeur, de la dignité et de la vie.
Le cœur est le centre de la vie chez l’homme. Quand il s’arrête, la vie s’en va. C’est en nous accordant à ses sublimes vibrations que nous allons changer le destin de notre planète. Cela demande de pardonner tout et de garder l’espoir pour l’avenir. Acceptons les autres comme ils sont, ne luttons contre personne, agissons selon nos propres principes. Ce monde a besoin des hommes de cœur qui ont le courage de leur conviction et qui construisent sans bruit de marteaux la nouvelle humanité.
Pierre Eric